Licenciement pour faute grave : la datation des faits invoqués dans la lettre de licenciement est-elle nécessaire ? Licenciement pour faute grave : la datation des faits invoqués dans la lettre de licenciement est-elle nécessaire ?

Dans un arrêt du 6 mai 2025 n°29-19.2014, la Cour de cassation a jugé que la datation des faits invoqués à l’appui de la faute grave n’est pas nécessaire.

Dans cette affaire, une salariée est licenciée pour faute grave.

Dans la lettre de licenciement, son employeur lui reprochait tout à la fois :

  • d’avoir dénigré régulièrement la société et son gérant,
  • d’avoir demandé à l’un de ses collègues de mentir sur son heure d’arrivée au travail,
  • d’avoir contesté régulièrement avec agressivité les décisions prises par son employeur, notamment celle de l’avoir placée au chômage partiel et de ne pas avoir participé à une formation, etc.

La salariée a saisi la Conseil de Prud’hommes d’une contestation de la rupture de son contrat de travail. A l’appui de sa demande, la salariée invoquait, entre autres arguments, que les faits qui lui étaient reprochés n’étaient pas datés.

Par arrêt du 5 mai 2023, la Cour d’Appel de BOURGES a suivi la salariée dans son argumentation et jugé que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse aux motifs que les griefs énoncés dans la lettre de licenciement n’étaient pas datés, ni circonstanciés, qu’ils étaient formulés dans des termes vagues et ne constituaient dès lors pas des motifs précis et matériellement vérifiables de licenciement.

La société s’est pourvue en cassation en arguant du fait que :

  • si la lettre de licenciement doit comporter l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur, la datation, dans la lettre de licenciement, des faits invoqués par l’employeur pour justifier le licenciement n’est pas nécessaire pour que la lettre de licenciement satisfasse à l’exigence de motivation posée par la loi (…);
  • la lettre de licenciement satisfait à l’exigence de motivation posée par la loi dès lors qu’elle comporte l’énoncé de motifs matériellement vérifiables et suffisamment précis pour être discutés devant les juges du fond (…).

La Cour de Cassation, dans son arrêt du 6 mai 2025 a suivi la société dans son argumentation et infirmé la décision de la Cour d’Appel.

Notre cabinet se voyant régulièrement interrogé sur la rédaction des lettres de licenciement et confronté à cette question dans le cadre des contentieux qui lui sont confiés, cette décision a naturellement conduit Frédéric Zunz et Fanny de Combaud à se pencher sur cet arrêt.

Motivation de la lettre de licenciement : des motifs précis et matériellement vérifiables

L’article L1232-6 du Code du travail dispose que,

« Lorsque l’employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception.

Cette lettre comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur (…). »

L’article L1235-2 du Code du travail prévoit quant à lui :

Les motifs énoncés dans la lettre de licenciement prévue aux articles L. 1232-6L. 1233-16 et L. 1233-42 peuvent, après la notification de celle-ci, être précisés par l’employeur, soit à son initiative soit à la demande du salarié, dans des délais et conditions fixés par décret en Conseil d’Etat.

La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l’employeur, fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs de licenciement. 

A défaut pour le salarié d’avoir formé auprès de l’employeur une demande en application de l’alinéa premier, l’irrégularité que constitue une insuffisance de motivation de la lettre de licenciement ne prive pas, à elle seule, le licenciement de cause réelle et sérieuse et ouvre droit à une indemnité qui ne peut excéder un mois de salaire.

En l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, le préjudice résultant du vice de motivation de la lettre de rupture est réparé par l’indemnité allouée conformément aux dispositions de l’article L. 1235-3.

Lorsqu’une irrégularité a été commise au cours de la procédure, notamment si le licenciement d’un salarié intervient sans que la procédure requise aux articles L. 1232-2, L. 1232-3, L. 1232-4L. 1233-11L. 1233-12 et L. 1233-13 ait été observée ou sans que la procédure conventionnelle ou statutaire de consultation préalable au licenciement ait été respectée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l’employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire. »

La jurisprudence précise que l’employeur ne doit pas se borner à mentionner, dans la lettre de licenciement, une faute sans plus ample indication.

Ainsi, dans un arrêt du 14 mai 1996, la Cour de cassation a apporté une indication utile quant au degré de précision requis en jugeant que « constituerait un motif précis le grief matériellement vérifiable ».

Dans cette affaire, l’employeur faisait grief au salarié de son manque de compétence se manifestant par un manque de projet concret sur l’organisation de son service, un échec dans ses relations avec ses collaborateurs, une mise en place de documents non fiables et un mécontentement de la clientèle. Pour décider que le licenciement ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse, la cour d’appel a retenu que cet énoncé était insuffisamment précis.

L’arrêt est cassé en ces termes : « en statuant ainsi, alors que les griefs susvisés, matériellement vérifiables, constituaient les motifs exigés par la loi, la cour d’appel a violé l’article  L. 1232-6 ».

(Cass. soc., 14 mai 1996, n° 94-45.499, n° 2130 P : Bull. civ. V, n° 189)

Est-ce que cela implique pour autant que les faits pour être précis doivent être datés ?

Motivation de la lettre de licenciement : la datation n’est pas nécessaire

Dans l’arrêt du 6 mai 2025, la Cour de Cassation casse la décision rendue par la Cour d’Appel considérant :

« qu’il résultait de ses constatations que la lettre de licenciement énonçait des griefs précis et matériellement vérifiables pouvant être discutés devant les juges du fond, la cour d’appel, à laquelle il appartenait de vérifier le caractère réel et sérieux du licenciement, a violé le texte susvisé.

Par cet arrêt,  la Cour de Cassation rappelle que si la lettre de licenciement doit énoncer des motifs précis et matériellement vérifiables, la datation des faits reprochés au salarié n’est pas exigée dans la lettre de licenciement comme cela résulte de l’article L1232-6 du Code du travail. Son absence ne peut donc en soi priver le licenciement de cause réelle et sérieuse si les faits en cause restent démontrables.

Ce rappel est d’autant plus important dans le cas d’espèce puisqu’il s’agissait d’un licenciement pour faute grave dont les motifs sont soumis à la prescription disciplinaire.

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Si cette jurisprudence apparait plutôt favorable aux employeurs, elle ne doit surtout conduire à la négligence et à l’imprudence.

Ainsi, pour sécuriser le licenciement, nous maintenons notre préconisation habituelle et de continuer à rédiger la lettre de licenciement de la manière la plus précise possible, en se fondant sur des faits matériellement vérifiables et disposant d’ores et déjà au dossier des éléments de preuve permettant d’assurer au mieux sa défense en cade de litige. Dès lors, et alors même que l’indication de la date des faits fautifs n’est pas une condition, elle nous parait demeurer un élément supplémentaire de précision qui permet en outre de se prémunir de tout débat lié à la prescription.

Auteurs : Fanny de Combaud et Frédéric Zunz

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