Actu-tendance n° 768
DROIT DU TRAVAIL
Jurisprudence – Relations individuelles
Rappel : il résulte de l’article L. 1152-2 du code du travail qu’aucune personne ayant subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou ayant, de bonne foi, relaté ou témoigné de tels agissements ne peut faire l’objet de mesures de représailles telles qu’une sanction, un licenciement ou encore une mesure discriminatoire.
En cas de contentieux portant sur l’existence ou non d’un harcèlement moral, l’article L. 1154-1 du Code du travail impose que :
– le salarié présente des éléments de fait qui laissent supposer l’existence d’un harcèlement ;
– au vu de ces éléments, l’employeur prouve que les agissements reprochés sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge peut alors ordonner, si cela est nécessaire, des mesures d’instruction afin de pouvoir qualifier les faits et prendre sa décision. La charge de la preuve est donc partagée.
Un licenciement prononcé dans un contexte de harcèlement moral doit-il nécessairement conduire le juge à prononcer la nullité de cette mesure ?
Cass. Soc., 9 avril 2025 n° 24-11.421
Dans cette affaire, une salariée, responsable de projet au sein d’un établissement bancaire, s’est vue notifier un licenciement pour motif disciplinaire.
Soutenant avoir subi des faits de harcèlement moral, elle saisit la juridiction prud’homale en contestation de la validité du licenciement et paiement de dommages-intérêts.
La Cour d’appel fait droit à sa demande et constate la nullité du licenciement.
L’employeur forme un pourvoi en cassation et fait grief à la Cour d’appel d’avoir prononcé la nullité du licenciement sans avoir constaté au préalable, que la salariée avait effectivement été licenciée pour avoir subi ou refusé de subir un harcèlement moral et donc, sans avoir caractérisé le lien de causalité entre le harcèlement moral invoqué et le licenciement.
Par un arrêt du 9 avril 2025, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel et reprend le moyen soutenu par l’employeur. La Haute juridiction rappelle ainsi que le fait qu’un salarié ait été victime de harcèlement moral n’implique pas en soi qu’il a été licencié pour avoir subi de tels agissements.
Deux conditions doivent donc cumulativement être réunies pour qu’un licenciement soit frappé de nullité :
- que le salarié ait effectivement subi ou refusé de subir des faits de harcèlement moral ;
- que les juges du fond établissent que le licenciement notifié était motivé par le fait que le salarié ait subi ou ait refusé de subir ce harcèlement moral.
Constatant que le lien de causalité n’était pas établi, la Cour de cassation renvoie l’affaire devant une autre Cour d’appel, à charge pour elle, de statuer sur l’existence ou non d’un tel lien de causalité.
Note : la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de rappeler la nécessité d’établir un lien de causalité entre la sanction prononcée et les faits de harcèlement dénoncés par le salarié. En effet, il ne suffit pas que le licenciement ait été prononcé après la dénonciation d’un acte de harcèlement pour qu’il soit nécessairement frappé de nullité (Cass. Soc., 7 avril 2016 n° 14-24.021). Si ce lien résulte, le plus souvent, de la chronologie des faits (sanction prononcée dans un temps très proche de celui d’accusations de harcèlement ou d’un dépôt de plainte etc…), il n’est pas toujours suffisant.
Rappel : l’article L. 3171-2 du code du travail fait obligation à l’employeur d’établir les documents nécessaires au décompte de la durée du travail de chaque salarié occupé dans un service ou un atelier ne travaillant pas selon le même horaire collectif.
Ce décompte est effectué :
quotidiennement, par enregistrement, selon tous moyens, des heures de début et de fin de chaque période de travail ou par le relevé du nombre d’heures de travail accomplies ;
chaque semaine, par récapitulation, selon tous moyens, du nombre d’heures de travail accomplies par chaque salarié.
Si le document est établi par un enregistrement informatique, le système doit être fiable et infalsifiable (article L. 3171-4 du code du travail).
Le non-respect de ces obligations est sanctionné par une amende appliquée autant de fois qu’il y a de personnes employées dans des conditions susceptibles d’être sanctionnées.
L’outil informatique de contrôle du travail comportant pour chaque salarié ses heures de travail anticipées est-il conforme aux conditions posées aux articles L. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail ?
CE 17 avril 2025 n° 492418
A la suite d’un contrôle effectué par l’inspection du travail, une entreprise de production et distribution d’électricité se voit infliger une amende au titre d’un manquement aux dispositions de l’article L. 3171-2 du Code du travail.
Dans cette affaire, le logiciel de contrôle du temps de travail mis en place avait été paramétré pour indiquer à l’avance les horaires de travail de chaque salarié. Lorsque l’horaire effectivement réalisé n’était pas conforme aux horaires de travail pré-enregistrés, le salarié les modifiait en procédant à une saisie manuelle que son responsable hiérarchique devait ensuite valider.
L’entreprise saisit la juridiction administrative d’une demande d’annulation de la sanction.
La Cour administrative d’appel rejette la demande de la société au motif qu’un système d’enregistrement du temps de travail comportant une déclaration par anticipation des heures travaillées, puis une rectification hebdomadaire pour prendre en compte les heures effectivement accomplies ne satisfait pas aux exigences du code du travail dès lors qu’il ne permet notamment pas un décompte quotidien des heures de travail effectivement réalisées par le salarié.
La société forme un pourvoi devant le Conseil d’Etat.
Par une décision du 17 avril 2025 mentionnée dans les tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat censure le raisonnement de la Cour administrative d’appel et précise les conditions dans lesquelles un système de contrôle du temps de travail peut prévoir des horaires pré-enregistrés.
Pour le Conseil d’Etat le système est valable pour autant que :
- les éventuelles discordances entre le nombre d’heures pré-enregistré et les heures de travail effectivement accomplies soient corrigées pour chaque jour et chaque semaine de travail ;
- le délai de correction soit bref, ce qui participe du caractère objectif, fiable et accessible du système mis en œuvre.
Aussi, le fait que le nombre d’heures mentionné à titre provisoire dans l’outil informatique puisse ne pas correspondre au nombre d’heures effectivement accomplies par le salarié ne saurait conduire à regarder ledit logiciel comme ne présentant pas les garanties d’objectivité, de fiabilité et d’accessibilité requises.
Note : la Cour de cassation fait également preuve d’une certaine souplesse en admettant que le système d’enregistrement par badgeage qui retient le début et la fin du travail de chaque salarié de sorte que ne sont prises en compte que les heures accomplies dans la limite de l’amplitude horaire et que les heures réalisées au-delà font l’objet d’un décompte manuel, répond aux exigences requises par l’article L. 3171-4 du code du travail. Pour la Cour de cassation, le contrôle manuel des heures supplémentaires n’est qu’un élément de la mise en œuvre du système d’enregistrement institué par l’accord collectif (Cass. soc., 11 mai 2005, n° 03-17.494).
Jurisprudence – Relations collectives
Rappel : l’accord préélectoral visé à l’article L. 2314-28 du code du travail fixe les modalités d’organisation et de déroulement des opérations électorales. En principe l’employeur ne peut se faire juge de la validité des candidatures. Toutefois, il peut, dans certains cas, rejeter automatiquement une liste de candidats qui ne respecte pas les modalités de dépôt. Tel est notamment le cas :
des candidatures tardives,
des candidatures prématurées (par exemple, avant la conclusion du protocole préélectoral),
des candidatures sans mandat syndical.
L’employeur qui reçoit, dans le délai fixé par le protocole préélectoral pour le dépôt des listes du 1er tour de scrutin, une liste qui vise, par erreur les dates fixées pour le 2nd tour, erreur rectifiée par la suite mais hors délai, peut-il écarter cette liste pour le scrutin du 1er tour?
Cass. Soc., 9 avril 2025 n° 24-11.979
Dans le cadre de l’élection de la délégation du personnel au CSE, le protocole préélectoral d’une entreprise prévoyait le calendrier suivant :
- 20 novembre 2023 à 10 heures : date limite de dépôt des listes de candidats pour le 1er tour du scrutin
- du 1er au 5 décembre 2023 : 1er tour du scrutin
- du 15 au 19 décembre 2023 : 2ème tour du scrutin
Le 14 novembre 2023 la CGT dépose sa liste pour le collège Cadre et précise, dans la lettre d’accompagnement « dépôt de candidature CGT aux élections professionnelles du 15 au 19 décembre 2023 ». Les dates du second tour des élections étaient donc visées.
Réalisant son erreur, le syndicat CGT apporte une rectification en informant l’employeur que les listes avaient été déposées en vue du premier tour de scrutin. Toutefois, cette rectification intervient hors délai, soit après le 20 novembre 2023.
L’employeur accuse réception du dépôt de la liste CGT pour le second tour des élections et écarte la liste CGT pour le 3ème collège lors du 1er tour de scrutin.
Le syndicat saisit le Tribunal judiciaire aux fins d’annulation des élections du 3ème collège du CSE.
Le Tribunal fait droit à la demande du syndicat, annule les élections et ordonne à la société d’organiser de nouvelles élections dans ce collège dans les dix semaines suivant la notification de la décision.
Selon le juge :
- l’employeur a manqué à son obligation de neutralité en écartant la liste CGT dans le 3e collège,
- la date butoir fixée dans le protocole pré-électoral avait été respectée dans la mesure où les listes CGT avaient été déposées dans le délai imparti,
- s’agissant de la contestation d’une candidature, il appartenait à l’employeur de saisir le juge,
- la lettre d’accompagnement du dépôt de candidature était entachée d’une erreur matérielle « flagrante ».
La société a formé un pourvoi en cassation.
Elle soutient que :
- les modalités d’organisation du scrutin fixées par le protocole préélectoral s’imposent à l’employeur comme aux organisations syndicales,
- l’employeur pouvait refuser de tenir compte d’une liste de candidature déposée après la date et l’heure limite fixée par le protocole préélectoral.
Par décision du 9 avril 2025, la Cour de cassation casse sans renvoi la décision du Tribunal judiciaire. Faisant une stricte lecture des dispositions de l’accord préélectoral, la Cour constate que le dépôt de la liste de candidats pour le 3ème collège ne répondait pas aux modalités de forme d’une liste de candidats concourant au premier tour de scrutin de sorte que l’employeur pouvait refuser de prendre en compte cette liste.
Note : il s’agit d’une confirmation de jurisprudence (voir notamment Cass. soc., 10 juill. 2024, n° 23-13.551 qui fait droit à la demande de l’employeur d’annuler une élection s’agissant d’une candidature déposée avec 9 minutes de retard). Rappelons qu’avant un revirement de 2012 (Cass. Soc., 31 janvier 2012 n° 11-20.232) la Cour de cassation faisait preuve d’un certain pragmatisme en validant une candidature tardive dès lors que le retard n’était pas de nature à troubler le déroulement du scrutin.
A contrario, a pu être jugé abusif, le fait, pour l’employeur d’écarter une liste de candidats déposée dans les délais, au motif que la justification du mandat du syndicat avait été remise avec deux minutes de retard (Cass. soc., 27 mai 2020, n° 18-60.038).
Enfin il convient de rappeler qu’une liste écartée au premier tour par l’employeur comme tardive n’est pas considérée comme maintenue au second tour.
Rappel : chaque syndicat qui constitue une section syndicale au sein de l’entreprise ou de l’établissement d’au moins cinquante salariés peut, s’il n’est pas représentatif dans l’entreprise, désigner un représentant de la section pour le représenter au sein de l’entreprise (C. trav., art. L. 2142-1-1). La constitution d’une section syndicale est conditionnée à la présence d’au moins deux adhérents (C. trav., art. L. 2142-1)
Le salarié dont le chèque de cotisation n’a pas encore été encaissé peut-il être considéré comme adhérent au sens de l’article L.2142-1 du code du travail ?
Cass. Soc., 9 avril 2025, n° 24-15975
Dans cette affaire, le syndicat FO informe l’employeur d’une société de nettoyage de la désignation d’une salariée en qualité de représentante de section syndicale (RSS).
L’employeur saisit le Tribunal Judiciaire d’une demande d’annulation de cette désignation au motif que le syndicat ne satisfaisait pas, au jour de cette désignation, à la condition du nombre minimum d’adhérents pour constituer une section syndicale.
Le Tribunal fait droit à la demande de l’employeur. Il retient que la seule volonté de trois salariés d’adhérer au syndicat de l’entreprise exprimée par leur bulletin d’adhésion est insuffisante, de même que le seul établissement par ces derniers de chèques ceux-ci n’ayant pas été encaissés par le syndicat au jour de la désignation contestée.
Le syndicat et la salariée forment un pourvoi en cassation .
Par un arrêt du 9 avril 2025, la Cour de cassation casse le jugement du Tribunal judiciaire après avoir constaté qu’au jour de la désignation contestée, deux salariés avaient émis un chèque correspondant au montant de leur cotisation, ce dont il se déduisait qu’ils s’étaient acquittés de celle-ci peu important que les chèques aient été encaissés par le syndicat postérieurement à la date de la désignation.
Note : La Cour de cassation a pu considérer que la condition de présence de deux adhérents n’est pas remplie lorsque l’un d’eux ne payait plus ses cotisations trimestrielles depuis plusieurs mois (Cass. soc., 13 juin 2019, n° 18-15.442) ou en cas de retard de paiement de sa cotisation syndicale et ce, peu important que les statuts du syndicat ne prévoient pas la perte de qualité d’adhérent en cas de retard de cotisations (Cass. soc., 14 févr. 2024, n° 23-10.925).
Législation et réglementation
Un décret n°2025-341 du 14 avril 2025 incite l’employeur (ainsi que les autres financeurs tels que les OPCO ou France Travail) à co-financer des formations dans le cadre du CPF.
Jusqu’à présent, l’employeur qui décidait d’abonder le CPF d’un salarié n’avait aucune visibilité sur la nature de la formation dont le salarié souhaitait bénéficier et notamment, ignorait si la formation était en lien avec les besoins de l’entreprise.
Depuis le 17 avril 2025, date d’entrée en vigueur du décret, l’employeur qui abonde le CPF d’un salarié a la possibilité de décider que l’utilisation de sa dotation sera réservée à certaines formations précisément identifiées.
Le salarié qui reste libre de l’utilisation de son CPF peut choisir une autre formation mais dans cette hypothèse, ne pourra pas bénéficier de la dotation volontaire versée par l’employeur.
L’employeur, qui fixe les conditions d’utilisation de sa dotation volontaire pourra également fixer les conditions d’un éventuel remboursement de l’abondement non utilisé.
Un décret du 18 avril 2025 prévoit que :
- à compter du 1eroctobre prochain, les travailleurs affectés à un poste nécessitant une autorisation de conduite ou une habilitation électrique en application des articles R. 4323-56 et 4544-10 du code du travail ne bénéficieront plus du suivi individuel renforcé de leur état de santé mais devront obtenir une simple attestation justifiant de l’absence de contre-indications médicales.
- cette attestation, valable pendant cinq ans, est délivrée par le médecin du travail à l’issue d’un examen médical et est versée au dossier médical du salarié.
- les avis d’aptitude délivrés au titre de l’actuel suivi individuel renforcé tiennent lieu, de nouvelle attestation et ce, pendant cinq ans à compter de leur délivrance.
- le salarié ou l’employeur peut saisir le conseil de prud’hommes selon la procédure accélérée au fond d’une contestation portant sur un refus de délivrance d’attestation opposé par le médecin du travail.
Un projet de décret fixe à 60 ans l’âge d’ouverture du droit à la retraite progressive, à compter du 1er septembre 2025.
Cette mesure s’inscrit dans le cadre de l’ANI du 14 novembre 2024 en faveur de l’emploi des salariés expérimentés et était demandée par la CFDT.
Un projet de décret est actuellement soumis au Conseil d’Etat et devrait être prochainement soumis pour avis aux partenaires sociaux.
Protection sociale complémentaire
Jurisprudence – Protection sociale
Les contrats d’assurance doivent mentionner la prescription des actions qui en dérivent. Faute pour l’assureur de prouver qu’il a exécuté cette obligation d’information, la prescription est inopposable à l’assuré (Cass. Civ 2ème 3 avril 2025 n°23-19.677)
Le droit à l’erreur résultant de l’article L. 123-1 du code des relations entre le public et l’administration ne s’applique pas aux majorations de retard de déclaration et de paiement de la contribution sociale de solidarité dès lors que les retards ou omissions de déclaration dans les délais prescrits par un texte, ne sont pas susceptibles de régularisation (Cass.Civ.2ème 10 avril 2025 n° 22-22.815).
Législation et réglementation
Dans un contrat d’assurance de retraite supplémentaire, si l’assuré n’opte pas pour la garantie facultative décès pendant la phase de constitution des droits et qu’il décède avant la liquidation des droits à rente, les sommes épargnées sont en principe perdues.
Manque à son devoir de conseil, l’assureur qui s’abstient d’alerter l’assuré de ces conséquences.
Le médiateur recommande à l’assureur d’alerter régulièrement leurs assurés sur les conséquences du décès avant liquidation, en l’absence de garantie décès en phase de constitution.
L’ACPR et Tracfin ont mis à jour les lignes directrices relatives aux obligations de vigilance sur les opérations et aux obligations de déclaration et d’information à Tracfin.
Sont notamment intégrées :
- les évolutions règlementaires (arrêté du 6 janvier 2021, ordonnance du 12 février 2020 )
- les décisions de la commission de sanction et les constats de l’ACPR au cours de ses contrôles.
L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution retire l’agrément de deux associations professionnelles de courtiers en assurance. Les membres de ces associations disposent d’un délai de trois mois pour adhérer à une autre association professionnelle agréée.
Le comité économique des produits de santé fait connaître son intention de fixer les prix de cession des prothèses capillaires. La publication de l’avis fait courir un délai de 21 jours visant à permettre aux exploitants et distributeurs au détail de faire connaitre leur intention de prendre part à la présente négociation et transmettre une déclaration des volumes de vente sur la période temporelle retenue.
Plusieurs rubriques ont été mises à jour le 30 avril 2025 et notamment celles des allègements généraux, des exonérations zonées, des exonérations d’aide à domicile, et des remboursements de frais professionnels.