L’élaboration jurisprudentielle d’un statut du salarié itinérant L’élaboration jurisprudentielle d’un statut du salarié itinérant
La Cour de Cassation fixe au fil de sa jurisprudence les contours d’un statut applicable aux salariés itinérants, à savoir les salariés dont les déplacements sont inhérents à l’exercice de leurs fonctions.
Sébastien Leroy et Pascal Flécheau reviennent sur les arrêts récents rendus en la matière par la chambre sociale de la Cour de cassation.
Distinction entre le temps de travail effectif et le temps de trajet du salarié itinérant : la Cour de Cassation se rapproche de la position de la CJUE sans s’aligner totalement
Il y a dix ans, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a été amenée à prendre position sur la qualification des temps de déplacement des salariés qui n’ont pas de lieu de travail fixe ou habituel. Elle jugeait que constitue un temps de travail effectif « le temps de déplacement que ces travailleurs consacrent aux déplacements quotidiens entre leur domicile et les sites du premier et du dernier clients désignés par l’employeur » (CJUE, 10 septembre 2015, Aff. C-266/14).
Après une longue période de résistance, la Cour de Cassation a, finalement, fait évoluer sa jurisprudence pour se rapprocher de la solution de la CJUE sans s’aligner totalement sur celle-ci (Soc. 23 novembre 2022, n°20-91.924). Désormais, elle ne fait plus une application stricte de l’article L. 3121-4 du code du travail, qui écarte automatiquement la qualification de temps de travail effectif pour le temps de trajet domicile-lieu de travail et admet que ce temps puisse bénéficier de la qualification de temps de travail effectif. A cet effet, le juge se doit, en effet, de déterminer si, au regard des conditions effectives d’accomplissement desdits trajets, le salarié se tient à la disposition de l’employeur et doit se conformer à ses directives, sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.
Poursuivant l’application de cette jurisprudence récente, la Cour de cassation donne de nouvelles illustrations de son application.
La Cour procède à un examen in concreto des modalités d’accomplissement du trajet entre le domicile et le lieu de travail et juge que le fait :
- qu’un salarié itinérant dispose de la capacité de déterminer de manière autonome l’itinéraire de sa tournée,
- de la faculté de désactiver le système de géolocalisation installé sur son véhicule de service
- lequel n’est, en tout état de cause, soumis qu’à un contrôle a posteriori de ses trajets,
constituent autant d’arguments établissant que le salarié n’était pas soumis au pouvoir de direction de son employeur durant ces trajets.
Elle approuve une Cour d’appel d’avoir exclu, dans cette hypothèse, la qualification de temps de travail effectif pour ces trajets (Cass. Soc. 25 octobre 2023, n°20-22.800).
Plus récemment, elle sanctionne les juges du fond qui ne procèdent pas à l’examen des conditions effectives d’accomplissement des trajets d’un technicien itinérant entre son lieu d’hébergement et son lieu d’intervention ou son agence (Cass. Soc. 15 janvier 2025, n°23-19.595).
Dans cette affaire, la Cour d’appel avait validé la démonstration fournie par l’employeur consistant à opérer des distinctions entre :
- le temps de trajet entre le domicile et le lieu de travail qui, dès lors qu’il ne dépasse pas les 45 minutes, est automatiquement exclu de la qualification de temps de travail effectif ;
- le temps de route entre deux lieux de travail et la fraction supérieure aux 45 minutes du temps de trajet domicile-lieu de travail qui sont qualifiés de temps de travail effectif ;
- le temps d’intervention, qui est également qualifié de temps de travail effectif.
Estimant que les 45 premières minutes de trajet ne pouvaient pas être automatiquement exclues de la notion de temps de travail effectif sans examiner, au préalable, leurs conditions d’accomplissement, le salarié itinérant saisi le juge d’une demande de rappel de salaire.
Afin de démontrer que l’intégralité du temps de trajet constitue du temps de travail effectif, le technicien itinérant souligne qu’il utilise un véhicule de service équipé d’un système de géolocalisation visant à optimiser les temps de déplacements entre deux interventions et qu’il peut être contraint de dormir à l’hôtel dès lors que le dernier lieu de travail est éloigné de plus de 100 km ou une heure de son domicile.
En l’espèce, la Cour de cassation ne se prononce pas sur le caractère probant de ces constatations mais reproche à la Cour d’appel de ne pas avoir vérifié si les conditions effectives d’accomplissement des trajets n’étaient pas de nature à établir que le salarié n’était pas libre de vaquer à ses occupations personnelles, quand bien même la durée du trajet était inférieure à 45 minutes.
Les conditions d’octroi de l’indemnité d’occupation du domicile à un salarié itinérant
La réduction des temps de trajet des salariés itinérants constituant un enjeu essentiel, une pratique largement répandue a conduit de nombreux salariés, avec l’approbation de leur employeur, à réaliser une partie de leurs tâches administratives à leur domicile personnel, les conduisant à affecter une partie de leur domicile à la réalisation de leur activité professionnelle.
Depuis les arrêts « Nestlé » du 7 avril 2010 (n° 08-44.865 et suivants), la Cour consacre le principe d’une indemnisation du salarié contraint d’affecter une partie de son domicile personnel à son activité professionnelle. La jurisprudence a évolué et retient désormais qu’une indemnité d’occupation du domicile personnel est due dans l’hypothèse où l’employeur n’a pas mis à la disposition du salarié un local professionnel pour exercer son activité (Soc. 12 décembre 2012, n°11-20.502).
La Cour de cassation a, encore très récemment, eu l’occasion de faire application de ces principes (Cass. Soc. 2 avril 2025, n°23-22.158).
Dans cette affaire, l’employeur avait pourtant convaincu la Cour d’appel d’écarter le versement d’une indemnité d’occupation en soulignant que :
- le salarié ne rapportait ni la preuve de l’engagement de dépenses spécifiques liées à l’occupation du logement, ni de l’accomplissement d’une activité professionnelle depuis ce même logement,
- les fonctions du salarié étaient par nature itinérantes,
- aucun télétravail n’avait été convenu entre les Parties,
- l’employeur avait remis au salarié itinérant des moyens de communications ainsi qu’un véhicule de fonction.
La Cour casse l’arrêt d’appel et confirme qu’en la matière, le critère déterminant est celui de la mise à disposition par l’employeur d’un local professionnel. A défaut, l’indemnité d’occupation du domicile personnel est due.
A noter, dans un arrêt tout aussi récent, la Cour de cassation s’est prononcée sur la prescription applicable à la demande de rappel d’indemnité d’occupation du domicile. Elle considère ainsi, s’agissant d’une modalité d’exécution du contrat de travail, que c’est la prescription de deux ans de l’article L.1471-1, alinéa 1er du Code du travail qui a vocation à s’appliquer à cette indemnité qui compense une sujétion particulière (Cass. Soc. 19 mars 2025, n°22-17.315) et non la prescription de 3 ans applicable à une créance de nature salariale ou la prescription quinquennale de droit commun.
Retrait du permis de conduire du salarié itinérant et licenciement
L’essence des fonctions d’un salarié itinérant implique la réalisation de déplacements fréquents à l’aide d’un véhicule automobile.
Le retrait temporaire ou définitif du permis de conduire qui intervient consécutivement à la commission d’une infraction au Code de la Route dans le cadre de l’exécution des missions professionnelles, apparait comme étant de nature à faire obstacle à la poursuite de la relation contractuelle. Suffisant pour justifier un licenciement, y compris pour faute grave ? Rien n’est moins sûr répond.
Dans un arrêt du 22 janvier 2025 (n°23-20.792), la chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l’employeur à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de Dijon qui a jugé comme étant sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour faute grave d’un salarié technico-commercial itinérant dont le permis avait été retiré pour une durée de trois mois à la suite d’un excès de vitesse commis dans le cadre de ses fonctions.
Pour essayer d’échapper à un licenciement, le salarié avait proposé à son employeur, lors de l’entretien préalable, des solutions alternatives afin d’assurer la continuité de son activité : location, à ses frais, d’un véhicule sans permis, organisation de tournées communes avec un autre salarié avec lequel il a des clients communs dans un secteur géographique relativement restreint (rayon d’environ 50 km).
La Cour d’appel, retient que les solutions proposées par le salarié démontrent que le retrait temporaire du permis ne fait pas obstacle à la poursuite du contrat de travail, invalidant la notion de faute grave.
De surcroît, les juges du fond soulignent l’absence de sanction antérieure du salarié et relèvent qu’il disposait, au moment de l’infraction, de l’intégralité des points sur son permis, matérialisant qu’il n’était pas familier avec la commission d’infractions au Code de la Route.
Enfin, la Cour relève que l’employeur ne pouvait se prévaloir de sa particulière vigilance en matière de prévention des risques routiers alors qu’il ne justifiait pas avoir sensibilisé particulièrement ses salariés, par le biais, notamment, de formations à la prévention de la vitesse au volant.
Les juges du fonds en concluent que si le comportement du salarié méritait sanction, un licenciement était, en l’occurrence, disproportionné.
Un passif disciplinaire en la matière et une particulière vigilance en matière de risques routiers auraient vraisemblablement conduit à justifier le licenciement.
actance se tient à votre disposition pour vous accompagner et vous conseiller sur la gestion de ces collaborateurs aux enjeux singuliers.

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Sébastien Leroy
Sébastien est titulaire d’un Master II Droit et Pratique des Relations de travail de l’Université Panthéon Assas. Il a collaboré au sein du Cabinet Barthélémy & Associés pendant 2 années avant de rejoindre le Cabinet Actance en janvier 2007. Sébastien exerce une activité de conseil au quotidien ou dans le cadre de projets de réorganisation auprès d’une clientèle composée de PME ou de groupes côtés ou non. Il assure la défense de ces mêmes clients devant les différentes juridictions compétentes en droit social, notamment, à l’occasion de contentieux impliquant les instances représentatives du personnel. Sébastien a développé des compétences spécifiques en matière de restructuration, aménagement du temps de travail et épargne salariale.
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