La transaction rédigée en termes généraux empêche de réclamer l’indemnisation d’un préjudice révélé ultérieurement : vers une véritable sécurité juridique ? La transaction rédigée en termes généraux empêche de réclamer l’indemnisation d’un préjudice révélé ultérieurement : vers une véritable sécurité juridique ?
« L’extinction de toute possibilité de contentieux ultérieur est l’un des attraits de la transaction. Elle est fondée sur la force obligatoire qui est attachée à cette convention, qui, comme tout autre contrat, est la loi des parties et induit que celles-ci ne s’engagent pas à la légère. » (Madame Roques, avocate générale à la Cour de cassation)
Dans un arrêt du 6 novembre 2024 (n° 23-17.699), la Cour de cassation a considéré que le salarié qui a signé une transaction à l’occasion de la rupture de son contrat de travail, formulée en des termes généraux, par laquelle il se déclarait rempli de ses droits et renonçait, de façon irrévocable, à toute instance ou action née ou à naître au titre de l’exécution ou de la rupture du contrat de travail, ne peut solliciter la réparation d’un préjudice révélé ultérieurement à la signature de la transaction.
Andréa Jacquier et Virginie Audet, avocats au sein du cabinet actance avocats vous proposent d’analyser cette décision et de revenir brièvement, en amont, sur le cadre juridique de la transaction.
Le cadre juridique de la transaction
Aux termes de l’article 2044 du code civil, la transaction est un contrat écrit par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître.
Conformément à l’article 2052 du même code, la transaction fait obstacle à l’introduction ou à la poursuite entre les parties d’une action en justice ayant le même objet.
Néanmoins et pour ce faire, la transaction répond à des conditions de forme et de fond :
- Conditions de forme : aux termes de l’article 2044 du code civil, la transaction doit être conclue par écrit, même si la Chambre sociale de la Cour de cassation est venue préciser que l’écrit n’est pas une condition de validité, mais un moyen de preuve de son existence (Cass. soc., 9 avril 1996, n°93-42.254).
Il apparait néanmoins, comme une nécessité absolue, compte tenu de l’objectif qui est assigné à la transaction, à savoir éviter un débat judiciaire.
- Conditions essentielles de fond :
- Capacité et consentement des parties : selon l’article 2045 du code civil, pour transiger, il faut avoir la capacité de disposer des objets compris dans la transaction. C’est ainsi qu’un mineur non émancipé ou un majeur protégé ne pourront pas librement décider de transiger.
En outre, conformément au droit commun des contrats, la transaction n’est valable que si les parties y ont consenti de manière libre et éclairée et que leur consentement n’est pas vicié.
- L’existence d’un litige dont l’objet est licite : en application de l’article 2044 du code civil, la transaction a pour objet de terminer une contestation née ou de prévenir une contestation à naître, étant précisé que la transaction n’est valable que si et seulement si sa cause, ou l’objet sur lequel elle porte, ne tend pas vers un résultat prohibé par la loi ou contraire à l’ordre public.
A ce titre, rappelons qu’un employeur ne peut pas transiger avec un salarié pour éluder sa responsabilité en cas de faute inexcusable, dès lors que les dispositions encadrant la faute inexcusable sont d’ordre public (Cass. 2e civ., 1er juin 2011, n° 10-20.178).
- Les concessions réciproques : pour que la transaction soit valable, l’accord des parties doit nécessairement comporter et faire apparaître l’existence de concessions réciproques (Cass. soc., 21 juin 1995, n° 91-45.806).
Ainsi, la Cour de cassation estime que s’il n’est pas nécessaire que les concessions réciproques soient d’une stricte proportionnalité (Cass. soc., 13 mai 1992, n° 89-40.844), pour autant, les concessions de chacune des parties doivent être réelles, appréciables et non dérisoires.
Sous réserve du respect des conditions de forme et de fond précitées, la transaction a, entre les parties, l’autorité de la chose jugée en dernier ressort (article 2052 du code civil). Dès lors qu’elle remplit l’ensemble de ces conditions, le transaction ne peut plus être remise en cause ultérieurement.
Pour autant, peut-on considérer que les transactions ne règlent que les différends ayant trait à leur objet, conformément aux articles 2048 et 2049 du code civil ? Telle était la question à laquelle la Cour de cassation a répondu dans l’arrêt rendu le 6 novembre 2024, en donnant plein effet aux transactions rédigées en termes généraux et conclues après la rupture du contrat de travail.
La portée de l’arrêt du 6 novembre 2024
Rappel des faits et de la procédure
En l’espèce, à l’occasion de la rupture de son contrat de travail intervenue en 2009, une salariée conclut avec son employeur une transaction par laquelle elle se « déclare remplie de ses droits et renonce, de façon irrévocable, à toute instance ou action née ou à naître au titre de l’exécution ou de la rupture du contrat de travail et admet que plus aucune contestation ne l’oppose à son employeur et qu’il est mis fin à leur différend ».
Toutefois, en 2017, la salariée engage une action contre son ancien employeur tendant à la réparation de son préjudice d’anxiété consécutif à l’inscription de l’établissement dans lequel elle a travaillé sur la liste ministérielle de ceux ouvrant droit à l’allocation de cessation anticipée des travailleurs de l’amiante (ACAATA).
La question soulevée était celle de savoir si la signature d’une transaction rédigée en termes généraux au moment de la rupture du contrat de travail empêchait la salariée de saisir le Conseil de prud’hommes en réparation d’un préjudice d’anxiété, né postérieurement à la signature de ladite transaction.
La salariée faisait valoir qu’au moment de la signature de la transaction, elle ignorait la possibilité de se prévaloir d’un préjudice d’anxiété.
Dans son arrêt du 28 février 2023, ayant donné lieu à l’arrêt analysé, la Cour d’appel de Lyon avait jugé que bien que le fondement de l’action de la salariée se soit révélé postérieurement à la transaction, il demeure que la clause de la transaction, formulée en des termes généraux, par laquelle la salariée se déclare remplie de ses droits et renonce, de façon irrévocable, à toute instance ou action née ou à naître au titre de l’exécution ou de la rupture du contrat de travail, et admet que plus aucune contestation ne l’oppose à son employeur, rend irrecevable sa demande en réparation du préjudice d’anxiété en raison de l’autorité de la chose jugée attachée à cette transaction.
Dans son pourvoi, la salariée faisait grief à la Cour d’appel d’avoir déclaré irrecevable sa demande de réparation du préjudice d’anxiété au motif que les parties ne pouvaient être réputées avoir renoncé à un droit qui n’existait pas à la date de la signature de la transaction, de sorte que, selon elle, la conclusion d’une transaction ne rend pas irrecevable la demande en réparation d’un préjudice né ultérieurement. Selon la salariée, la transaction ne faisait donc pas obstacle à ce qu’elle sollicite la réparation du préjudice d’anxiété né le 1er novembre 2016, peu importe que la transaction fut antérieure et formulée en termes généraux.
Décision de la Cour de cassation
Par son arrêt du 6 novembre 2024, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de l’ex-salariée.
La Cour de cassation a souligné que la Cour d’appel « qui a relevé, d’une part, que la transaction, formulée en des termes généraux, avait été signée à l’occasion de la rupture du contrat de travail, d’autre part, qu’aux termes de celle-ci la salariée se déclarait remplie de ses droits et renonçait, de façon irrévocable, à toute instance ou action née ou à naître au titre de l’exécution ou de la rupture du contrat de travail et admettait que plus aucune contestation ne l’opposait à l’employeur et qu’il était mis fin à leur différend », et a déduit que « la demande indemnitaire formée à l’encontre de l’employeur résultant de l’inscription de l’établissement […] pour la période de 1964 à 1996 sur la liste des établissements permettant la mise en œuvre de l’allocation de cessation anticipée des travailleurs de l’amiante, intervenue postérieurement à la transaction, n’était pas recevable ».
Portée
La Cour de cassation apporte dans cet arrêt une véritable sécurité juridique aux transactions.
En effet, c’est parce que la transaction était formulée en termes généraux, qu’elle empêchait toute contestation ultérieure, y compris pour des demandes qui, comme en l’espèce, ne pouvaient pas être connues au moment où le salarié avait renoncé à agir en justice.
Cette décision permet en outre de reconsidérer les dispositions de l’article 2048 du code civil qui dispose que « Les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s’entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu ».
Comme l’indiquait Madame Roques, l’avocate générale référendaire, dans son avis : « l’extinction de toute possibilité de contentieux ultérieur est l’un des attraits de la transaction. Elle est fondée sur la force obligatoire qui est attachée à cette convention, qui, comme tout autre contrat, est la loi des parties et induit que celles-ci ne s’engagent pas à la légère. Revenir sur cette solution, même pour le seul préjudice d’anxiété, serait à mon sens amoindrir l’intérêt et les effets des transactions ».
Ainsi, dès lors que les parties, libres de déterminer les contours de leurs engagements avaient décidé de renoncer à toute contestation née ou à naître relatives à l’exécution et la rupture du contrat de travail, elles ne pouvaient intenter une action relative à l’exécution du contrat de travail.
En somme, ce n’est que dans l’hypothèse où l’objet de la transaction est précisément délimité qu’elle peut permettre la survenue de demandes qui ne sont pas renfermées dans l’objet de la transaction.
Aussi, et comme le relevait l’avocate générale, la seule voie ouverte, bien qu’étroite, pour contester une transaction rédigée en termes généraux est de se fonder sur le plan du consentement d’une partie qui aurait été vicié.
En tout état de cause, cet arrêt vient parachever la ligne jurisprudentielle ouverte par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation qui est à l’origine du courant favorable à la sécurité juridique des transactions rédigées en termes généraux (Cass. ass. plén., 4 juillet 1997, no 93-43.375).
Dès lors, cette décision vient apporter une nouvelle pierre à l’édifice des résolutions amiables des différends puisque, rappelons le, dans un arrêt du 24 avril 2024 (Cass. soc., 24 avril 2024, n°22-20.472), la Cour de cassation est venue juger que, concernant le procès-verbal de conciliation, dès lors que le bureau de conciliation et d’orientation a une compétence d’ordre général pour régler tout différend né à l’occasion du contrat de travail, les parties qui comparaissent volontairement devant lui peuvent librement étendre l’objet de leur conciliation à des questions dépassant celles des seules indemnités de rupture et étendre leurs engagements à l’exécution du contrat de travail.
Ainsi, en signant une transaction en termes généraux ou un procès-verbal de conciliation, les parties sont désormais assurées que leurs engagements sont, sauf rares exceptions, gravés dans le marbre.
Evidemment, il n’en demeure pas moins qu’il convient de rester vigilants dans la rédaction des transactions ou des procès-verbaux de conciliation, afin de prévenir tout risque de quelque nature qu’il soit.
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Le Cabinet actance demeure naturellement à votre disposition afin de vous accompagner sur ces sujets et répondre à vos interrogations.

Virginie Audet
Virginie Audet est avocat depuis 2007 et a rejoint le Cabinet Actance en 2013 après avoir exercé au sein du Département Droit social du Cabinet Fidal. Elle est diplômée du DESS Droit et Pratique des Relations de Travail de l’Université de Toulon. Elle apporte aujourd’hui son expertise en conseil à nos clients en les accompagnant dans leur prise de décision et dans la définition de leur stratégie en matière de relations sociales et de gestion des ressources humaines. Elle dispose d’une solide expérience dans l’animation de formations auprès des DRH, services juridiques et managers, et assure également la gestion des contentieux.
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