L’impact URSSAF des contrôles de l’inspection du travail dans l’entreprise L’impact URSSAF des contrôles de l’inspection du travail dans l’entreprise
Ces dernières années, les entreprises ont observé une hausse notable des contrôles de l’inspection du travail.
En 2023, 114 500 contrôles et plus de 46 900 enquêtes ont été menés et ont abouti à la rédaction de 3 000 procès-verbaux[1]. Cette tendance, qui vise à assurer le respect des normes de travail et de sécurité, permet, entre autres, à l’inspection du travail de relever des infractions de travail dissimulé.
Cela engendre également de nombreux contrôles et redressements de l’URSSAF qui exploite de plus en plus les procès-verbaux de l’inspection du travail. A titre d’illustration, en 2023, l’URSSAF a exploité 738 procès-verbaux dressés par des officiers de police judiciaire et des inspecteurs du travail. Cette exploitation des procès-verbaux de l’inspection du travail a augmenté de 13,9% par rapport à 2022[2].
En effet, en cas de constat d’infraction de travail dissimulé, l’inspection du travail peut dresser un procès-verbal transmis au procureur de la république qui décide des poursuites et éventuellement d’enclencher une procédure pénale à l’encontre de la Société. Cependant, dès le constat d’infraction dressé par l’inspection du travail dans son procès-verbal et avant même que le procureur de la république ne décide des poursuites ou qu’une décision de justice ne soit rendue, l’URSSAF peut procéder à un redressement de la Société.
Romane Delahousse et Mathias Joste reviennent sur cette pratique encore méconnue, susceptible d’avoir un impact financier majeur pour les entreprises et dont les contours jurisprudentiels commencent à se dessiner.
L’infraction de travail dissimulé
Le travail dissimulé est constitué en cas de dissimulation d’activité ou de dissimulation d’emploi salarié[3].
Précisément, la dissimulation d’emploi salarié est constituée par le défaut de déclaration préalable à l’embauche, l’absence de remise de bulletin de paie ou la mention sur ce bulletin d’un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, ou encore par l’absence de déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci, auprès des organismes de recouvrement ou de l’administration fiscale.
En principe, l’infraction de travail dissimulé n’est constituée que s’il est possible de démontrer que l’employeur avait l’intention de dissimuler une activité salariée. Tel est le cas, de l’employeur qui ne procède pas à la déclaration nominative préalable à l’embauche d’un salarié alors qu’il connaissait ses obligations en la matière ou lorsqu’il ne rémunère pas certaines heures supplémentaires effectuées par le salarié[4].
Il arrive que les juridictions reconnaissent l’existence d’un travail dissimulé sans revenir sur le caractère intentionnel de l’infraction. La Cour de cassation a ainsi reconnu l’existence d’une infraction de travail dissimulé résultant de la seule constatation de la nullité de la convention de forfait annuel en jours[5].
Les conséquences ne sont pas minimes. En effet, la Société s’expose, en cas de constatation d’une situation de travail dissimulé par l’inspection du travail :
- à des sanctions pénales: emprisonnement de trois ans et d’une amende de 45 000 euros[6] ;
- à des sanctions administratives: l’autorité administrative peut, eu égard à la gravité des faits constatés, à la nature des aides sollicitées et à l’avantage qu’elles procurent à l’employeur, refuser d’accorder, pendant une durée maximale de cinq ans, certaines des aides publiques en matière d’emploi, de formation professionnelle et de culture. Elle peut demander le remboursement de tout ou partie de ces aides publiques perçues au cours des douze derniers mois précédant l’établissement du procès-verbal[7] ;
- à des sanctions civiles: en cas de rupture du contrat de travail d’un salarié dont l’emploi a fait l’objet de travail dissimulé, le salarié a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire[8].
Recouvrement URSSAF : l’utilisation des procès-verbaux de l’inspection du travail
Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016 de financement de la sécurité sociale pour 2017, les agents de l’inspection du travail et autres agents de contrôle compétents communiquent automatiquement les procès-verbaux relavant une infraction de travail dissimulé aux agents de l’URSSAF afin qu’il soit procédé à un redressement des cotisations et des contributions dues sur la base des informations contenues dans les procès-verbaux.[9] En plus du redressement et comme détaillées plus loin, l’URSSAF peut également décider d’appliquer des sanctions pécuniaires. La note finale peut donc s’avérer élevée ! A ce titre, en 2023, le montant des redressements opérés par l’URSSAF au titre de la lutte contre le travail dissimulé a atteint près de 1,177 milliard d’euros, contre 788 millions en 2022[10].
Cette exploitation des procès-verbaux qu’ils émanent de l’inspection du travail ou des autorités de police progresse et ce d’autant plus qu’en cas de contrôle URSSAF, l’intention frauduleuse de l’employeur n’a pas à être démontrée. En effet, le redressement de cotisations de l’URSSAF résultant du constat d’infraction de travail dissimulé est valable sans que le contrôleur URSSAF soit tenu d’établir l’intention frauduleuse de l’employeur[11].
La procédure en cas de redressement URSSAF pour travail dissimulé sur procès-verbal de l’inspection du travail est la suivante : avant la mise en recouvrement de la société, l’URSSAF adresse un avis de contrôle comportant une liste de documents nécessaires à ses investigations. A l’issue du contrôle, une lettre d’observation mentionnant le principe du redressement et, le cas échéant, sa proportion avec les éventuels recouvrements et sanctions envisagés est adressée à l’employeur qui dispose d’une période de 30 jours pour y répondre. L’URSSAF devra ensuite obligatoirement répondre à l’employeur. Ce n’est qu’à l’issue de cette procédure que l’URSSAF peut engager la mise en recouvrement, avec l’envoi d’une mise en demeure à la Société.
A divers égards, cette procédure, ainsi que les sanctions encourues dans le cadre de sa mise en œuvre, doivent faire l’objet d’une attention particulière pour les employeurs.
Notons que l’employeur dispose d’un délai strict de 30 jours pour répondre aux observations de l’URSSAF et ne peut solliciter, contrairement aux autres cas de contrôle URSSAF, un délai supplémentaire lorsque le redressement est envisagé pour une situation de travail dissimulé[12]. Cela laisse donc un seul délai de 30 jours pour la société pour répondre à l’URSSAF avant que le redressement ne soit mis en œuvre.
De plus, l’employeur ne détient pas l’entièreté de son dossier lorsqu’il reçoit la lettre d’observation de l’URSSAF. En effet, très souvent, la société ne dispose pas du procès-verbal dressé par l’inspection du travail et son obtention ou l’accès à son dossier n’est pas toujours aisée. La Cour de cassation a d’ailleurs pu préciser qu’aucune disposition n’exige la remise du dossier à la société.[13]
L’URSSAF n’est donc pas tenue de transmettre à l’appui de son redressement à l’acteur concerné le procès-verbal sur lequel elle se fonde pour effectuer son redressement.[14] L’envoi de la lettre d’observations par l’Urssaf, mentionnant les références du procès-verbal de travail dissimulé, suffit à assurer le respect du principe du contradictoire[15].
Enfin, plus récemment, la Cour de cassation a souligné que dans le cadre des redressements effectués par l’URSSAF, l’absence de production en justice du procès-verbal ne suffit pas, à elle seule, à remettre en cause la validité de la procédure, dès lors que les droits de la défense sont respectés et n’affecte pas la régularité de la procédure alors même que la Société avait, en l’espèce, sollicité le procès-verbal auprès du Procureur de la république qui a refusé de lui transmettre.[16]
Il convient donc de faire preuve d’une grande vigilance et ce d’autant plus que les sanctions encourues en cas de redressement URSSAF peuvent être particulièrement lourdes.
En effet, en cas de recouvrement URSSAF pour travail dissimulé, la Société risque un redressement sur les sommes non déclarées. Ce redressement peut être forfaitaire lorsqu’aucun élément ne permet de connaître la rémunération non déclarée[17].
Par ailleurs, des sanctions comme la suppression des aides publiques pendant cinq ans, l’annulation des réductions et exonérations de cotisations, le remboursement des aides publiques déjà perçues sur les 12 derniers mois ou encore des majorations de 25 % (majorations de retard) et de 40 % voire 60 % (majorations de redressement) peuvent être appliquées[18].
Enfin, dans le but de garantir le paiement de ces sommes, le Code de la sécurité sociale prévoit que, lorsqu’un procès-verbal de travail dissimulé est dressé, la Société doit adresser au directeur de l’URSSAF les éléments justifiants qu’il dispose des garanties suffisantes pour payer sa dette. À défaut de garanties ou si les garanties sont jugées insuffisantes, l’agent de contrôle URSSAF peut procéder sur les biens du débiteur à des mesures conservatoires[19]. A titre d’exemple, Il peut bloquer les biens d’une société en situation de travail dissimulé, par le mécanisme de la saisie conservatoire, sans contrôle préalable du juge.
Le risque est donc important et ce d’autant plus que ces sanctions se cumulent avec les sanctions pénales, civiles et administratives ci-avant évoquées.
Toutefois, ces procédures sont dissociées les unes des autres. Ce n’est pas parce que la société fait l’objet d’un redressement URSSAF que des poursuites judiciaires sont nécessairement engagées par le Procureur de la République lorsqu’il reçoit le procès-verbal faisant état de travail dissimulé dressé par l’agent, inspecteur du travail. A l’inverse, néanmoins, un classement sans suite au pénal sur des infractions relatives à du travail dissimulé ne fait pas obstacle à un redressement de cotisations.[20]
Le nombre d’infractions relevées augmente et les montants en jeu sont conséquents pour les entreprises, soulignant l’importance pour ces dernières de rester vigilantes face aux exigences légales en matière sociale.
Les avocats d’actance sont à votre disposition pour vous accompagner dans le cadre des procédures de contrôle au sein de l’entreprise.
[1] « Bilan de l’activité de l’inspection du travail 2023-2024 », site du Ministère du travail et de l’emploi, 15 novembre 2024 ; « L’inspection du travail mise sur une présence plus forte sur le terrain et sur l’analyse des données », Actu EL, 13 novembre 2024
[2] « Bilan 2023 de la lutte contre le travail dissimulé », Dossier Presse URSSAF, 13 mars 2024
[3] C. trav., art. L. 8221-3 et L. 8221-5
[4] Cass. crim., 27 mars 2018, n° 17-83.355 ; Cass. soc., 27 nov. 2013, n° 12-23.032
[5] Cass. soc., 6 nov. 2019, n°18-19.752
[6] C. trav., art. L. 8224-1 et s.
[7] C. trav., art. L. 8272-1 et s.
[8] C. trav., art. L. 8223-1
[9] C. trav., art. L. 8271-6-4 ; D. n° 2017-1409, 25 sept. 2017, art. 2, JO 27 sept.
[10] « Bilan 2023 de la lutte contre le travail dissimulé », Dossier Presse URSSAF, 13 mars 2024
[11] Cass. 2e civ., 9 oct. 2014, n° 13-22.943 ; CA Grenoble, 18 nov. 2021, n° 19/00794 ; CA Aix-en-Provence, 8 oct. 2021, n° 20/06238
[12] C. trav., art. L.243-7-1 A ; CSS., art. R. 243-59
[13] Cass. 2e civ., 14 févr. 2019, n° 18-12.150 ; Cass. 2e civ., 8 avr. 2021, n° 19-23.728 ;
[14] Cass. 2e civ., 14 févr. 2019, n° 18-12.150 ; Cass. 2e civ., 28 mai 2020, n° 19-14.862
[15] Cass. soc., 16 févr. 2023, n° 21-14.403 ; Cons. const., 13 nov. 2020, n° 2020-864 QPC
[16] Cass, 2e civ., 5 sept. 2024, n° 22-18.226
[17] CSS, art. L. 242-1-2
[18] CSS, art. L. 243-7-7
[19] CSS, art. L. 133-1 et s. et R. 33-1-1 et s.
[20] CA Dijon, ch. soc., 13 juin 2022, n° 19/00808