Burn out : de l’importance des mots Burn out : de l’importance des mots
Dans une affaire jugée le 28 mai 2024 par le Conseil d’État, un médecin a délivré à un salarié, un avis de prolongation d’arrêt de travail dont le volet destiné au médecin-conseil de l’assurance maladie portait, dans la rubrique « éléments d’ordre médical », la mention « burn-out ».
Un article rédigé par Frédéric Zunz et Fanny de Combaud.
L’employeur avait initialement porté plainte contre le praticien devant les instances disciplinaires de l’Ordre des médecins au motif qu’il avait selon lui, en établissant ce document, méconnu les dispositions de l’article R. 4127-28 du Code de la santé publique, lequel interdit la délivrance d’un certificat tendancieux et de complaisance.
La chambre disciplinaire du conseil départemental de l’Ordre des médecins a reçu cette plainte et notifié au médecin un avertissement en faisant droit à l’argumentation développée par la société selon laquelle le médecin ne pouvait pas se fonder sur les seules déclarations de son patient en indiquant que son « stress et son angoisse trouvaient leur origine dans son activité professionnelle sans disposer de l’analyse de ses conditions de travail émanant notamment du médecin du travail ».
Le salarié s’est pourvu en cassation après que la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins ait rejeté son appel.
Le 28 mai 2024, la 4e et la 1re chambre du Conseil d’État ont censuré la décision de la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins, en considérant quant à elles que « la seule circonstance que le médecin ait fait état de ce qu’il avait constaté l’existence d’un syndrome d’épuisement professionnel sans disposer de l’analyse des conditions de travail du salarié émanant notamment du médecin du travail ne saurait caractériser l’établissement d’un certificat tendancieux ou de complaisance ».
Le Conseil d’Etat a annulé la décision de la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins du 22 septembre 2022 et renvoyé l’affaire devant ladite chambre.
Ainsi, selon le Conseil d’Etat, un arrêt de travail pour burn-out ne constitue pas un certificat de complaisance.
On pourrait dès lors en conclure que les médecins sont légitimes d’établir des arrêts de travail pour burn-out en prenant en compte les seules déclarations du salarié.
Cette interprétation doit être toutefois nuancée.
La multiplication de ces certificats médicaux dans les dossiers de contentieux et précontentieux traités au cabinet conduit Frédéric Zunz et Fanny de Combaud à se pencher sur cette décision.
1. L’interdiction pour le médecin traitant d’établir un certificat tendancieux ou de complaisance
Le fait pour un salarié de disposer d’un certificat médical mentionnant qu’il serait victime de Burn out peut avoir de nombreuses conséquences pour l’employeur.
Ainsi et bien que le burn-out (« syndrome d’épuisement professionnel au travail ») ne soit pas reconnu en tant que maladie, mais en tant que syndrome multifactoriel, et que de ce fait il ne figure pas dans les tableaux des maladies professionnelles, on constate de plus en plus que le salarié victime d’un burn-out est enclin à rechercher la responsabilité de son employeur.
Si l’existence du symptôme dont souffre le salarié peut difficilement être remis en cause à partir du moment où il est constaté par un médecin, le lien entre ce symptôme et les conditions de travail qu’en fait régulièrement ledit médecin est beaucoup plus contestable.
Il arrive ainsi fréquemment qu’un médecin, sur la base des seules déclarations de son patient, lui délivre un certificat médical ou un arrêt de travail mentionnant qu’il est victime de burn-out. C’est alors pour le salarié la preuve que son employeur a failli à ses obligations, dont notamment à l’obligation de sécurité.
L’enjeu est de taille pour l’employeur puisque ce dernier peut être condamné au versement de dommages et intérêts conséquents, le salarié pouvant même obtenir la nullité d’un licenciement si un lien entre le burn-out et ce licenciement est établi, et/ou demander que sa maladie soit prise en charge au titre d’une maladie professionnelle, voire d’un accident du travail, avec reconnaissance d’une faute inexcusable de son employeur.
De ce fait, ces documents médicaux sont très souvent contestés par l’employeur à l’occasion des procédures contentieuses initiées et leur rédacteur régulièrement poursuivi devant le Conseil de l’Ordre des médecins, sur le fondement de l’article R. 4127-28 du Code de la santé publique aux termes duquel : « La délivrance d’un rapport tendancieux ou d’un certificat de complaisance est interdite ».
C’est d’ailleurs sur ce fondement que le médecin a été condamné par la chambre disciplinaire de l’Ordre, dans notre affaire.
Quant aux juges d’appel, ils se sont basés sur la recommandation de bonne pratique de la Haute autorité de santé intitulée : « Repérage et prise en charge cliniques du syndrome d’épuisement professionnel ou burn-out » du 22 mai 2017 pour confirmer cette décision.
Cette recommandation indique que « le repérage d’un tel syndrome implique nécessairement un examen conjoint des manifestations présentes chez le patient et de ses conditions de travail ». Elle souligne également que « dans l’intérêt du patient et avec son accord, il est indispensable qu’un échange ait lieu entre le médecin du travail et le médecin traitant (…) L’analyse du poste et des conditions de travail est, en effet, indispensable ». Dès lors, les juges considèrent que faute d’avoir interrogé le médecin du travail pour disposer d’une analyse des conditions de travail, le médecin traitant ne pouvait, par principe, se fonder sur les seules déclarations du salarié indiquant que son stress et son angoisse trouvaient leur origine dans son activité professionnelle.
Précisons que cette argumentation est conforme à une jurisprudence bien établie et plus générale du Conseil de l’Ordre qui considère cette fois, en application de l’article R. 4127-76, qu’un médecin, quelle que soit sa spécialité, ne peut établir de certificats ou d’attestations que « sur la base des constatations médicales qu’il a été en mesure de faire ». D’ailleurs, le Conseil national de l’Ordre des médecins indique explicitement sur son site que « le médecin ne doit certifier que ce qu’il a lui-même constaté » et que « si le certificat rapporte les dires de l’intéressé ou d’un tiers, le médecin doit s’exprimer sur le mode conditionnel et avec la plus grande circonspection ; le rôle du médecin est en effet d’établir des constatations médicales, non de recueillir des attestations ou des témoignages et moins encore de les reprendre à son compte ».
Il semble toutefois que la décision du Conseil d’État du 28 mai 2024 vient bousculer cet ordre établi.
2. La mention « burn-out » sur un certificat médical n’engage pas la responsabilité du médecin traitant
Le Conseil d’État a en effet, par sa décision du 28 mai 2024, censuré ce raisonnement et cette sanction en considérant que « la seule circonstance que Mme C ait fait état de ce qu’elle avait constaté l’existence d’un syndrome d’épuisement professionnel sans disposer de l’analyse des conditions de travail du salarié émanant notamment du médecin du travail ne saurait caractériser l’établissement d’un certificat tendancieux ou de complaisance au sens des dispositions de l’article R. 4127-28 du Code de la santé publique, la chambre disciplinaire nationale a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ».
Pour comprendre cette décision, qui semble contredire la jurisprudence de l’Ordre mais également celle du Conseil d’Etat lui-même, il faut se rapporter aux conclusions du rapporteur public.
Ce dernier considère que la qualification juridique de « certificat tendancieux ou de complaisance » ne peut résulter de la seule mention de l’expression « burn-out » sur un Cerfa administratif. Il précise qu’il n’est pas soutenu par l’employeur que le médecin aurait établi le certificat dans un but particulier à la demande de son patient et qu’il n’est pas démontré que ce praticien avait connaissance d’un conflit entre son patient et l’employeur.
Autrement dit pour faire valoir la faute du médecin traitant, encore fallait-il que l’employeur démontre son parti pris en faveur du salarié ou encore que le certificat médical laisse supposer un lien entre le burn-out et les conditions de travail du patient.
Tel n’est pas le cas en l’espèce puisque le médecin s’est limité à faire mention d’un burn out sur un acte administratif.
Or, si on peut considérer que cette démarche est éventuellement « maladroite », il paraît toutefois difficile de la qualifier de « complaisante » et de la juger fautive.
C’est l’argumentation qui a été retenue par le Conseil d’Etat.
On notera que le rapporteur public va plus loin en rappelant « qu’un tel syndrome d’épuisement professionnel ne révélant pas ipso facto par lui-même un comportement fautif de l’employeur. (…) le burn-out peut s’expliquer par des caractéristiques liées au travail mais aussi à l’individu : il est question de dégradation du rapport subjectif au travail », démontrant ainsi que la seule mention « burn-out » sur un certificat médical ne suffit pas à engager pas la responsabilité de l’employeur.
D’ailleurs, pour faire reconnaître que son burn-out est d’origine professionnelle, le salarié devra établir, dans le cadre de l’enquête menée par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), que sa maladie est, essentiellement et directement, causée par son travail habituel. On doute qu’un simple cerfa portant la mention burn out suffira.
***
Cette jurisprudence est une fois encore l’occasion de voir quelle importance peuvent revêtir les mots.
En effet, si le simple fait de faire référence à l’expression « burn-out » ne permet pas d’en déduire que cet état est forcément causé par le travail et résulte d’un comportement fautif de l’employeur, cette subtilité sémantique est encore loin d’être perçue par les Conseillers prud’homaux et les CRRMP, laissant supposer que les employeurs continueront à batailler encore longtemps pour expliquer le sens des mots et leur impact en matière de qualification juridique des faits compte tenu des conséquences associées.
Quant aux médecins, on ne peut que les inviter à revenir aux règles élémentaires de prudence en se rappelant les termes de l’article R 4127-76 al 1 du Code de la santé publique qui dispose que « L’exercice de la médecine comporte normalement l’établissement par le médecin, conformément aux constatations médicales qu’il est en mesure de faire, des certificats, attestations et documents dont la production est prescrite par les textes législatifs et réglementaires. (…) ».